Les dispositifs d’aide aux entreprises ont bénéficié en majorité aux plus petites d’entre elles

De nombreuses inconnues demeurent concernant la situation financière réelle des entreprises aidées, rappelle une étude de France Stratégie.

Par Audrey Tonnelier

Voilà qui devrait satisfaire Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, qui se pose en sauveur des entreprises et des emplois depuis le début de la crise sanitaire. « Dans l’ensemble, la mise en place de dispositifs simples et universels a permis de limiter la casse et d’apporter l’argent public là où c’était nécessaire », a déclaré, mardi 2 février, Benoît Cœuré, président du comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien aux entreprises face à l’épidémie de Covid-19. Plus particulièrement, les mesures mises en place − chômage partiel, fonds de solidarité, prêts garantis par l’Etat, reports de cotisations − ont bénéficié à plus de 80 % aux petites entreprises (moins de 250 salariés) entre mars et septembre 2020, a expliqué l’économiste, ancien membre du directoire de la Banque centrale européenne.

Constitué à la fin de mars 2020, en plein confinement, à la demande des parlementaires, ce comité comprend des députés − dont le président Les Républicains (LR) de la commission des finances, Eric Woerth, et le rapporteur La République en marche (LRM) du budget, Laurent Saint-Martin −, des représentants des départements et des régions mais aussi des organisations patronales et syndicales. Le tout sous l’égide de France Stratégie, le centre de réflexion économique et sociale rattaché à Matignon, et de l’inspection générale des finances.

En amenant l’Etat à placer l’économie sous cloche au printemps 2020, puis en bouleversant radicalement le quotidien des entreprises et de salariés depuis près d’un an, la crise sanitaire a incité Bercy à faire pleuvoir les milliards et rendu nécessaire « de suivre et [d’]évaluer » de manière fine les effets de ceux-ci sur les entreprises (les ménages ne sont pas concernés par ces travaux), argue M. Cœuré. Pour cela, le comité s’est appuyé sur les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), du Trésor ou encore de la Banque de France. Après cette première analyse portant sur la période printemps-été 2020, le comité rendra un rapport plus détaillé à la fin de mars, et un rapport final en juillet. Il a également vu son champ d’action élargi et devra se pencher sur l’évaluation du plan de relance.

« Prolifération de dispositifs et de modalités »

De quoi conclure qu’à la fin de septembre, quelque 3,7 millions d’entreprises avaient bénéficié d’au moins une des quatre principales mesures d’aide, pour un montant global de 161 milliards d’euros (dont 26 milliards d’euros d’aides directes et 135 milliards d’euros de prêts). « Près de 70 % des salariés français (17 millions de personnes sur 25) sont employés dans une entreprise ayant reçu au moins une aide », insiste M. Cœuré.

Autre enseignement du comité : les très petites entreprises (TPE, moins de 10 salariés) représentent la moitié des bénéficiaires de reports de cotisations sociales, mais à peine plus d’un quart (27 %) du montant total de l’aide au chômage partiel versé aux employeurs. « Il y a une forme de spécialisation des dispositifs par taille d’entreprises », conclut M. Cœuré. Le fonds de solidarité dans sa version du printemps a pour sa part majoritairement bénéficié aux PME, tandis que les grandes entreprises recouraient davantage aux prêts garantis par l’Etat. Quant au montant reçu par salarié, il diminue avec la taille de l’entreprise. Le montant d’activité partielle médianpar salarié est ainsi deux fois et demie plus élevé pour les PME (1 250 euros) que pour les entreprises de plus de 250 salariés (500 euros). Par secteur, sans surprise, le commerce et la construction sont les principaux bénéficiaires.

Ces analyses se heurtent enfin à une difficulté : l’évolution constante des dispositifs depuis un an. « Cela montre qu’il y a eu une interaction constante avec le gouvernement pour s’adapter au maximum, mais on en est arrivé à une prolifération de dispositifs et de modalités », prévient-il.

Dégradations structurelles

Reste une inconnue : jusqu’à quel point les aides de Bercy maintiennent-elles sous respiration artificielle des entreprises qui auraient disparu en temps normal ? En effet, les procédures collectives ont fortement baissé l’an dernier, y compris en fin d’année, où les tribunaux de commerce avaient rouvert. « La question est de savoir si on n’a pas aidé des “entreprises zombies”, celles qui auraient dû faire faillite car leur situation financière était trop faible », précise M. Cœuré. Un premier indice encourageant à ce stade : le recours aux mesures de soutien n’a pas été plus important de la part des entreprises en difficulté (selon la cote de la Banque de France).

Néanmoins, ce que l’économiste nomme l’« hibernation du tissu économique » peut cacher des dégradations plus structurelles : « Nous n’avons pas pour le moment de vision consolidée de la situation financière des entreprises françaises ni des fragilités qu’elles ont pu cumuler sur l’ensemble de la crise », admet-il. Autre défi : comment continuer à accompagner certains secteurs, même lorsque les restrictions sanitaires seront levées ? « Rien ne dit que les gens retourneront au restaurant normalement partout après la crise », avance l’économiste.

« Il faudra lever les dispositifs de soutien de manière prudente et progressive, abonde Eric Woerth. On ne va pas revenir à la normale du dimanche au lundi, l’économie française va passer par une phase de convalescence. Et ce, d’autant que plus on fait du cas pas cas, plus les aides sont complexes et lentes à arriver. »

De quoi mettre un peu plus de plomb dans l’aile à la fin du « quoi qu’il en coûte » fortement souhaité à Bercy.