La relocalisation des entreprises et des industries est un objectif majeur du plan de relance du gouvernement, auquel les collectivités sont associées. Les pouvoirs locaux usent depuis longtemps de moyens plus ou moins efficaces pour les attirer. Décryptage.
France Relance, le plan du gouvernement lancé en septembre 2020, prévoit environ 16 milliards d’euros territorialisés afin d’encourager les collectivités à investir et aider la France à relocaliser ses activités, en particulier industrielles. Les territoires interviennent, en effet, depuis longtemps dans leur développement économique avec des recettes plus ou moins efficaces – fiscalité avantageuse, subventions, politique d’aménagement, marketing territorial, etc. Ces stratégies n’ont pas toujours pu empêcher la désindustrialisation du territoire qui les a menées.
C’est en partant des besoins spécifiques des entreprises que les collectivités montrent aujourd’hui leur capacité à redynamiser le tissu économique local, leur faculté d’adaptation, leur potentiel de réactivité, bref en adoptant des réflexes d’entrepreneurs. Diagnostic des recettes des pouvoirs publics locaux, des vrais besoins des entreprises et de nouvelles stratégies mises en œuvre par les collectivités pour relancer la machine.
1.La carte du dumping fiscal
L’argument est usé : les entreprises françaises sont désavantagées par rapport à leurs voisines, notamment allemandes, à cause du poids de leur fiscalité. Avant leur réduction de 20 milliards sur deux ans, inscrite dans le plan de relance et la loi de finances pour 2021, Bercy insistait sur l’existence d’un différentiel de un à sept entre les deux pays, au détriment de la France. Il serait, en fait, plutôt deux à quatre fois moindre, selon un rapport spécifique sur le sujet.
Au final, de nombreux chercheurs en économie et élus constatent que « la fiscalité locale ne semble pas être, sur le terrain, un sujet de préoccupation majeur pour les entreprises, entités territorialisées », constate par exemple l’Essec Business School. Mais pas inexistant.
« C’est une question primordiale, qui intéresse les grands groupes dans leur choix d’implantation à l’international, qui vient, cependant, pour les petites entreprises, après l’environnement du territoire comme le foncier, les infrastructures ou la formation », constate Harold Huwart, maire (PRG) de Nogent-le-Rotrou (9 600 hab., Eure-et-Loir). « La concurrence entre territoires ne se fait pas à coup de baisse de fiscalité », assure Jérôme Brossier, directeur du développement des entreprises à la communauté d’agglomération de Béthune-Bruay, Artois-Lys Romane. Pour les collectivités, miser sur le dumping fiscal serait donc, dans la très grande majorité des cas, « un jeu à somme nulle avec les autres territoires ».
2. L’hyper-spécialisation
Toulouse qui rit, puis Toulouse qui pleure. Jusqu’à présent porté par l’industrie aéronautique, le bassin d’emploi haut-garonnais pourrait perdre 6 000 emplois avec la crise sanitaire qui cloue la majorité des avions au sol. Pire, le secteur pourrait entraîner dans sa chute 4 000 emplois indirects. Un cataclysme économique.
Avant lui, le bassin minier du Nord ou l’Est sidérurgique ont connu les joies et les peines de l’hyper-spécialisation. « Se spécialiser dans un secteur est d’autant plus risqué que ce dernier est étroit, confirme Nadine Levratto, chercheuse en économie au CNRS. Cibler une seule entreprise qui va produire une rente pour le territoire, par exemple, est extrêmement périlleux. Ce sont des stratégies procycliques. Les stratégies de filières sont moins hasardeuses, avec différents segments, de l’amont vers l’aval. » Ainsi, en cas de crise, seules quelques parties de la chaîne sont affectées. Mieux vaut privilégier une spécialisation par activité afin de travailler par regroupement d’entreprises ayant des relations d’achat-vente. Le fameux modèle vendéen est ainsi constitué autour de pôles intrasectoriels, mais aussi intersectoriels, comme à Cholet (53 800 hab., Maine-et-Loire), par exemple, avec un écosystème autour de l’enfant – alimentation, ameublement, pharmacie, etc. A l’inverse, si un territoire veut diversifier au maximum ses activités pour s’assurer une certaine sécurité économique, il s’expose à ne pas pouvoir fournir tous les facteurs de développement dont a besoin chaque entreprise pour gagner en compétitivité, comme la formation des salariés.
3.Le bétonnage à gogo
La poule et l’œuf. Faut-il attirer le patron et l’aider à construire son nid, ou faire d’abord le nid pour attirer le patron ? Les agences de développement et conseils en économie territoriale sont unanimes : pour qu’une entreprise décide de s’implanter quelque part, il vaut mieux avoir une offre foncière déjà prête. « La première recherche qu’un chef d’entreprise va faire sur internet est de savoir si un bien est disponible, foncier ou immobilier », raconte Guillaume Gady, directeur général et cofondateur d’Ancoris, spécialisé dans le conseil en développement économique des territoires. Un terrain viabilisé, une bretelle d’autoroute à proximité, une zone d’activité toute prête et le tour est joué ? C’est hélas un peu court. « On a vu beaucoup de territoires créer des zones d’aménagement concerté [ZAC] pour en faire des parcs d’entreprises, or cet immobilier reste parfois vide parce qu’il ne suffit pas d’offrir un terrain ou un entrepôt, il faut aussi proposer la vie qui va avec », glisse Nadine Levratto.
Les possibilités d’interactions avec d’autres acteurs, des moyens de communication, des complémentarités productives motivent également les entreprises. Elles ont pour projet, en premier lieu, de croître. Les moyens humains et la mise en réseau, le capital physique et financier, les ressources intellectuelles que peuvent fournir les centres de formation sont donc tout aussi importants. L’espace de coworking ne se fait ainsi pas tout seul, « il faut les compétences pour développer ces lieux », prévient Jérôme Brossier.
« L’employeur va chercher en premier lieu à garder ses salariés et leur savoir-faire »
[4]Hélène Becquet, présidente du Réseau national de l’économie territoriale
« L’implantation d’une entreprise résulte d’une analyse multicritère, mais la sensibilité à l’emploi est majeure. Une société va chercher à garder en premier lieu ses salariés et leur savoir-faire. Elle se préoccupe des intérêts des salariés pour mieux les fidéliser, surtout dans les secteurs en tension. Bien sûr, elle attend également un bon niveau d’équipement qui passe par une zone bien aménagée, avec des infrastructures adaptées. Mais c’est principalement un écosystème favorable à son développement qu’elle va chercher. Or, le temps de l’entreprise n’est pas celui de l’administration. Il faut donc que cette dernière anticipe et construise d’abord l’environnement qui séduira l’entreprise, sans céder forcément à toutes les modes, comme on a pu le voir avec les zones d’aménagement concerté [ZAC] dans chaque commune ou la construction d’espaces de coworking un peu partout. La fiscalité fait aussi partie de cet environnement. »
4. La concurrence territoriale et démographique
C’était le mot d’ordre des années 2000 – le territoire doit devenir une marque. Quitte à faire de l’ombre au voisin. Après de nombreux travaux de chercheurs en géographie ou en économie locale, la réflexion s’est concentrée au niveau du bassin de vie. « On a montré que les établissements publics de coopération intercommunale [EPCI] issus de la dernière réforme territoriale ne correspondaient pas trop mal aux bassins d’emploi. C’est la maille pertinente pour mettre en place des stratégies de développement local », souligne Nadine Levratto. Olivier Portier, spécialiste des dynamiques territoriales et cocréateur d’un observatoire des impacts territoriaux, va plus loin. « Nous sommes entrés dans des logiques d’hyper-interterritorialité. De puissants transferts de richesses, liés aux mouvements pendulaires des personnes entre lieux de production et de résidence, s’organisent », estime-t-il.
Un territoire rural peut donc tirer profit du dynamisme de la métropole ou de l’agglomération voisine, mais aussi être entraîné dans sa décroissance en cas de crise, comme l’a montré celle du Covid. Mieux vaut donc associer tout le monde dans la réflexion et nager dans le même sens. « C’est parce que j’ai vu tous les acteurs locaux agir ensemble pour trouver des solutions spécifiques à mes besoins que j’ai choisi le parc du Grand Troyes pour implanter mon usine », confirme Pierre Dhorne, directeur de Garnica, qui a également apprécié le gisement de main-d’œuvre (lire ci-contre). Car impliquer la population à la production, c’est bien ancrer l’entreprise au territoire, ce qui, à long terme, s’avère en fait plus productif et moins coûteux.
5.La subventionnite aiguë
Verser toujours plus d’aides est l’une des stratégies des collectivités pour attirer les entreprises. Dans un contexte de chômage de masse et de mobilité accrue des capitaux, les territoires sont en concurrence entre eux pour attirer le plus de sociétés. Mais ce choix pourrait s’avérer moins payant que certains élus l’imaginent. Comme l’explique Anne-Marie Escharavil, présidente de Precia Molen et première vice-présidente du Medef Drôme Ardèche, « les aides, c’est surtout pour les entreprises qui sont dans une période délicate ». Pourtant en 2015, plus de 6,5 milliards d’euros ont été déboursés par les exécutifs locaux pour les entreprises.
« Le problème des subventions, c’est qu’on les touche une seule fois. Soit vous êtes opportuniste et vous en attrapez un gros paquet, à très court terme, avec l’idée de revendre rapidement l’entreprise. Soit vous avez une vision sur le long terme, et ce n’est pas cela qui va déterminer une implantation », éclaire Frédéric Coirier, PDG du leader européen des conduits de cheminée, Poujoulat. Ce que confirme une enquête réalisée, en 2003, par l’Insee auprès de 7 000 établissements ayant changé de région d’implantation. Elle ne constate pas de corrélation évidente entre le volume des subventions attribuées et l’attractivité d’un territoire au niveau des petites et moyennes entreprises. Si les sociétés voient dans les subventions un moyen de réduire temporairement le poids de la fiscalité locale, les élus estiment les subventions plus traçables, faciles à cibler et permettent donc d’assurer un contrôle dès le lancement du projet et jusqu’à sa réalisation.
La parole aux dirigeants
Alexandre Lacour, président de Someflu, fabricant de pompes
« L’important, c’est le cadre de vie, les possibilités de formation professionnelle, la durée des trajets, car plus ils sont longs, moins j’ai de l’énergie positive pour l’entreprise. Il s’agit d’évaluer le coût global et ne pas décorréler l’impôt du projet de développement, il faut donc passer du temps pour savoir dans quelle zone le projet peut être le mieux accompagné. Nous avons eu beaucoup de liens avec notre EPCI, notamment durant la crise. »Bagnolet (35 400 hab., Seine-Saint-Denis).
Pierre Dhorne, directeur de Garnica, usine de transformation de bois
« L’élément le plus décisif, c’est la main-d’œuvre, avant la proximité avec le bois de peuplier, car on peut le faire venir de partout. Et avant le foncier, puisque l’on peut vous proposer des terrains à 1 euro le mètre carré. Mais il faut trouver le lieu où les salariés et leur famille se sentent bien. Quand je cherchais, je me disais à chaque endroit : vivrais-tu ici avec ta famille ? »Troyes (62 000 hab., Aube).
Guillaume Cantelou, directeur général d’Euro Wipes, fabricant de lingettes antiseptiques
« Avec la crise, nous investissons 3 millions d’euros pour augmenter notre production. L’aide financière du plan de relance de la région Centre – Val de Loire et le soutien de la mairie ont été précieux. Cette dernière s’est associée à une société pour construire un entrepôt. En attendant sa livraison en 2022, elle loue des locaux qu’elle a récemment acquis pour qu’Euro Wipes puisse y entreposer ses produits finis. »Nogent-le-Rotrou (9 600 hab., Eure-et-Loir).
Jérémy Bismuth, fondateur de Click and Boat, site de location de bateaux
« Les subventions sont recherchées, surtout pour des entreprises en création. Au début, c’est nécessaire. Les élus locaux nous ont soutenus pour trouver des locaux, des acteurs économiques, mais il n’y a jamais eu d’aides. S’il y en avait eu, on serait peut-être venus plus vite, plus nombreux. Ce critère recherché n’est pas au rendez-vous. Nous nous sommes quand même installés. La preuve que c’est important, mais pas nécessaire non plus. »Marseille (868 300 hab., Bouches-du-Rhône).
Anne-Marie Escharavil, présidente de Precia Molen, instruments de pesage
« Nous n’avons pas choisi de nous installer ici, mais avons décidé d’y rester. En étant sur un territoire rural et entreprise leader, nous avons un lien privilégié avec les élus locaux. Il ne s’agit pas de passe-droit, mais plutôt de réactivité à nos questions. C’est une vraie aide et cela facilite la mise en réseau. Mais ça nous donne aussi une responsabilité sociétale vis-à-vis de notre environnement direct. On a intérêt à ce que la ville soit le plus dynamique possible. »Veyras (1 500 hab., Ardèche).
Olivier Schiller, président de Septodont, usine de matériel dentaire
« La fiscalité de production est fondamentale. Nous voulons construire une nouvelle usine à Mazamet [Tarn]. Les taxes locales sont de 15 000 euros par an pour 10 millions de chiffre d’affaires. Avec ce projet, elles passeraient à plus de 300 000 euros. Pour un investissement de plus de 9 millions, c’est comme si l’on payait l’usine deux fois. C’est rédhibitoire. »Saint-Maur-des-Fossés (75 300 hab., Val-de-Marne).
Benoit Serreau, directeur général de RI CND, radiographie industrielle
« Etre dépendant d’un seul secteur d’activité et concentrer toutes ses activités au même endroit n’est pas une bonne stratégie. Il faut une diversification technologique, sectoriel et géographique. Quand j’ai rejoins RI CND j’ai voulu les sensibiliser à ce risque. C’est pour cette raison que l’on a créé une nouvelle agence en 2020 à Martigues en Provence-Alpes-Côte d’Azur. C’est une région diversifiée mais hyper spécialisée dans certains secteurs (pétrochimie, chaudronnerie, gaz, énergie, chantiers navals…). »Martigues (48 420 hab., Provence-Alpes-Côte d’Azur).