« Un immense plan social invisible »
Le sentiment d’une « grande lassitude » pèse sur les salariés, inquiets face au virus et à la crise sociale qui monte, s’inquiète Laurent Escure, secrétaire général de l’Unsa, dans l’entretien qu’il nous a accordé. Il plaide pour augmenter l’aide aux plus précaires.
Par Propos recueillis par Francis BROCHET – 16 nov. 2020
Déjà plus de quinze jours en re confinement. Quel impact sentez-vous chez les salariés ?
Une grande lassitude, à la fin d’une année assez catastrophique. Il y a le côté inédit de la crise, les craintes pour ses proches, la deuxième vague qui en rajoute sur la fatigue nerveuse, des congés maladie en forte augmentation, comme les dépressions. Et la peur de perdre son emploi, très présente.
À juste titre, au regard d’un chômage attendu à plus de 10 %
Absolument. On parle des plans sociaux de Bridgestone ou du Printemps, mais il y a un immense plan social invisible qui touche tous ceux qui n’ont pas pu être embauchés, tous ceux qui ont vu leurs contrat d’intérim ou CDD pas renouvelés. Un plan social qui frappe beaucoup de TPE dans l’hôtellerie, la restauration, la culture, sans parler des secteurs déjà fragiles qui vont être percutés en sortie de crise. On va avoir une montée en flèche du chômage, et il faut espérer que la reprise permettra de revenir assez vite à un niveau normal.
Le gouvernement a l’air assez optimiste sur ce point. Et vous ?
On a vu à la sortie du premier confinement que la France avait du ressort… Mais il manque un volet essentiel dans le plan du gouvernement : un soutien de la demande, notamment des travailleurs les plus précaires. Le gouvernement doit enfin mettre en place le revenu universel d’activité regroupant les différents minima sociaux, pour l’offrir aux nouveaux entrants et aux jeunes. On sait que cet argent va non seulement soulager les personnes, mais aussi qu’il ne sera pas épargné : il sera immédiatement dépensé, au service de la relance économique.
Faut-il suspendre le jour de carence des fonctionnaires en cas d’arrêt maladie, comme lors du premier confinement ?
Bien sûr ! Il faut une égalité entre les fonctionnaires et les salariés du privé, qui n’ont pas de jour de carence. Personne ne comprend l’entêtement de Madame de Montchalin (ministre de la Fonction publique) : est-ce de l’idéologie ? En plus, ce jour de carence augmente plutôt le nombre de jours d’arrêt maladie et peut en particulier faciliter la contamination, parce que les gens hésitent à s’arrêter s’ils se sentent mal.
Les négociations sur le télétravail patinent. Croyez-vous encore à un accord ?
À partir du moment où le patronat veut un accord « ni prescriptif, ni normatif », il va falloir que le gouvernement prenne ses responsabilités pour imposer quelques règles générales. Un mot encore sur les salariés des TPE, qui sont les premiers touchés par cette crise, et les plus éloignés du syndicalisme. Nos militants vont être mobilisés pour une campagne de solidarité en actes, sous la forme d’un réseau « d’aideurs de proximité » : concrètement, des délégués syndicaux prendront du temps pour conseiller bénévolement les salariés qui en auront besoin… Si le syndicalisme n’arrive pas dans les années qui viennent à montrer son utilité aux salariés les plus exposés, dont ceux des TPE, la crise syndicale s’aggravera.